Pour ne pas subir le changement plus qu’ils ne le pilotent, les dirigeants d’entreprise auraient à gagner à s’appuyer davantage sur leurs dircoms dans ce processus de transformation.
L’histoire des entreprises est jalonnée de cycles de transformation, impulsés par leur stratégie, ou en réaction à des évènements structurants. Faire évoluer son modèle, son image, son organisation, vouloir optimiser ses coûts ou ses processus, ou vouloir rivaliser avec ses compétiteurs, et être prêtes à tout changer de nouveau : le « mouvement perpétuel » est le biorythme des leaders et des entreprises.
Pourtant, avec l’avènement du monde numérique, la transformation est devenue une discipline à hauts risques. D’abord, parce que les vagues de disruptions technologiques se sont empilées pour finir par imposer l’idée (reçue) que la transformation est d’abord « digitale », et qu’elle rassemble tous les leviers pour gagner en performance, en réactivité et même en résilience.
Ensuite, parce que la perception d’un monde qui change au rythme effréné des innovations s’est imposée comme la norme. À l’image de la Reine Rouge, dans Alice aux Pays des Merveilles, qui court dans un décor qui avance plus vite qu’elle, l’accélération de la transformation est devenue un impératif stratégique obsessionnel. Les métiers sensibles (RH, finance, supply…) ont été les premiers l’expérimenter, à leurs dépens.
Une mutation peut en cacher une autre
La pandémie a parachevé la mutation du monde du travail, faisant voler en éclats les rites et les fonctionnements des organisations, leur façon de manager, de communiquer, d’informer. Elles ont vu naître des mouvements comme la désacralisation de la parole institutionnelle, la polarisation des opinions, la désintermédiation, la fragmentation de l’emploi, le « quiet quitting » ou le « brown out ».
Les entreprises ont-elles eu le temps de s’adapter à ces mutations, de les intégrer dans leurs approches du changement ? Une série d’échanges avec 20 dircoms de grands groupes et d’ETI françaises, réalisée fin 2023, livre quelques réponses. Si la majorité d’entre eux déclare avoir été intégrée aux réflexions en amont, ils constatent que leur entreprise a finalement concentré leurs investissements sur le triptyque technologie/processus/organisation. Ils déplorent à défaut d’avoir pu engager une stratégie de communication de changement, travailler en mode « damage control ». Pourquoi ? Les volets humains et culturels sont peu questionnés en amont. L’enjeu de l’adoption des usages se fait aux dépens des bénéfices pour l’individu et le collectif. Le pilotage global du changement est faible alors que les couches de transformations sont interfacées. Les dirigeants incarnent peu leur transformation alors qu’ils en sont les dépositaires. En communication, les approches instrumentales prennent le pas sur les approches holistiques. Un changement subi Partout, les mêmes maux produisent les mêmes effets : une transformation qui patine, une défiance qui s’enkyste, une crise qui s’installe et fragilise l’image. Dirigeants et dircoms évoluent dans un état d’urgence permanent donnant le sentiment qu’ils subissent le changement plus qu’ils ne le pilotent. Le management de proximité se sent distancé des choix stratégiques en matière de changement. Englué dans la complexité du matriciel et des injonctions paradoxales, son rôle de courroie de transmission devient inopérant. Le pilier central de la conduite du changement par la communication interne est coupé. Selon une étude Ifop de 2022, 96% des salariés se déclarent prêts à s’investir dans la transformation. Mais, faute de compréhension des enjeux et des bénéfices liés aux changements, ils la vivent comme un sujet éruptif pouvant bousculer leur équilibre, challenger leurs compétences, questionner leur employabilité. Quand les « quiet quitters » assument leur détachement, d’autres trouvent leur épanouissement ailleurs, aidés par les formules hybrides de travail. Les engager sur cinq axes D’après une étude BCG de 2020, 70% des transformations n’atteindraient pas leurs objectifs. Est-ce une fatalité ? Évidemment, non. Les dircoms interrogés se sentent en capacité d’aider les dirigeants à reconquérir le leadership de leur transformation, en les engageant sur cinq axes. D’abord, en les aidant à faire des choix éclairés. Ils peuvent les doter d’une analyse systémique qui, en écho aux mutations socioéconomiques, décrypte ce qui se joue sur le plan humain et culturel sur le terrain. La vertu de cette démarche est d’aider l’entreprise à comprendre sur quels atouts (culture, croyances, valeurs, rites…) prendre appui pour conduire son changement et comment ancrer sa communication dans le réel. Deuxième axe, les convaincre de laisser les commandes aux managers pour gagner la bataille de l’amplification. Une étude réalisée en 2020 par l’Ifop révèle que 74% des salariés considèrent que leurs managers ne sont pas assez impliqués dans la conduite de changement, alors que, selon eux, ils sont les plus compétents et les plus légitimes pour les piloter. L’enjeu est de les amener à devenir dépositaires, et animateurs du changement, co-constructeurs de dispositifs de communication et facilitateurs de leur déploiement. Ensuite, les convaincre de préempter le sens pour gagner la bataille de l’engagement. Le point de départ d’une communication de changement est le sens. Sans le sens, pas de confiance, sans confiance pas d’adhésion et sans adhésion, pas d’engagement. Une solide articulation de ces éléments est la clé de voute d’une stratégie de communication de changement. Penser leur transformation comme une marque Quatrième axe, les amener à penser leur transformation comme une marque pour gagner la bataille de l’attention. Définir une raison d’être pour inspirer, construire un narratif pour la faire vivre, se doter d’une identité pour donner des repères, utiliser une sémantique pour clarifier, créer des rites pour fédérer. Enfin, il convient de les amener à initier un mimétisme du changement. Trop de transformations sont victimes du « syndrome de la chenille ». Les dirigeants déroulent, quand le corps social oscille entre incompréhensions et craintes des impacts. Si les discours institutionnels des entreprises ont parfois perdu en impact, le dirigeant, lui, fait toujours figure d’autorité sacralisée. Le préparer pour qu’il incarne avec cohérence (langage/posture/action) l’esprit de la transformation est un levier pour réussir.